Mémoire sur le banc    Louis POLVERINI                                                                            Récit d’un événement tragique, survenu sous l’occupation allemande en septembre 1943 au lieu-dit : Le Camp Long, commune de Saint Raphaël.                                                                                                             Ce banc que je vais évoquer était un banc public qui, comme tous semblables, a été celui du repos, de la contemplation et de bien d’autres choses, mais pour moi celui sur lequel j’ai assisté à la première tragédie de mon adolescence.  Les faits remontent à un après-midi de fin septembre 1943. L’armée allemande, qui par suite de la rupture d’alliance avec l’Italie au début de ce même mois, avait chassé l’armée italienne et devenait de ce fait nouveau, la seule occupante de la zone Sud.                                                                                Ce banc qui existe toujours était situé sur l’accotement de la route nationale face à la mer, au lieu-dit "le Camp Long" entre Agay et le Dramont. En arrière-plan, de l’autre côté de la route, il y avait le parc de la villa les Cigales, à sa droite la villa Claudine et à ses pieds la mer légèrement en contre bas.           On y découvrait un vaste panorama et aussi, sur sa droite au Sud sur une centaine de mètre environ le rivage jusqu’à la Pointe Longue ainsi que le petit port de Labbé du nom de celui qui l’avait fait construire. Nous demeurions à proximité de la route nationale dans un pavillon sur le haut de la rue de la Batterie rebaptisée rue Germaine Sablonen souvenir de cette chanteuse ayant résidée dans le quartier et qui fut l’interprète du chant des Partisans.              Ce jour là, je fus chargé par ma mère d’aller à pied faire des courses au village.Je traversai la route pour emprunter l’accotement afin de me diriger vers Agay. Lorsque je fus arrivé à hauteur du banc mon regard fut attiré vers le port de Labbé par l’étrange comportement de deux hommes en tenue de bain avec des bottes. Ils étaient dans l’eau peu profonde à cet endroit et ils s’affairaient autour d’un gros objet flottant sphérique, à première vue je pris pour une bouée, puis avec plus d’attention je distinguais que cet objet était hérissé d’antennes.Intrigué je m’asseyais sur le banc et j’observais en toute insouciance ce manège qui se déroulait à moins de 100 mètres de ma présence. Un vent d‘Est soufflait vers la terre et la houle formait des vagues très irrégulières.

Je connaissais parfaitement les lieux où se déroulait la scène. En effet il y avait à partir du rivage une partie assez plate et caillouteuse de 30 à 40 centimètres de profondeur sur une vingtaine de mètres de large où se trouvaient les deux hommes. En avant de ce haut-fond, l’eau devenait plus profonde et un petit tombant de 1 mètre environ accentuait le mouvement des vagues. C’était entre ces deux parties que l’engin stationnait à portée des mains de ces deux hommes dont je crus comprendre qu’Ils étaient des soldats allemands et qu’ils cherchaient à s’en emparer.Survint alors une très grosse vague qui souleva la mine et la propulsa sur le haut fond entre les deux hommes. C’est à cet instant que se produisit une terrible explosion qui projeta en l’air verticalement, obliquement et dans tous les sens dans un vacarme épouvantable, des flammes, de l’eau, de la fumée et des cailloux.                                              Dans les films de fiction on ne fait pas mieux. Je fus aspergé d’eau et une grêle de cailloux s’abattit autour de moi sans m’atteindre.Je restais figé sur mon banc surpris par la soudaineté de l’évènement. Il fallut un petit moment pour que le vent, soufflant vers la terre, dégage les lieux et emporte l’odeur de la poudre pour constater que les deux hommes s’étaient volatilisés et m’apercevoir également que je n’étais pas le seul spectateur de cet évènement. Il y avait un petit groupe de soldats certainement plus aguerris qui ayant senti le danger s’étaient abrités derrière une paroi rocheuse. Je les vis les uns après les autres pointer leur nez et constater qu’il n’y avait plus personne et retourner immédiatement se mettre à l’abri. J’avais trouvé ce comportement bizarre.       A ce stade du récit, je me dois de rapporter comment cette mine flottante était parvenue jusqu’à l’endroit où allait se dérouler le drame.                      L’hypothèse la plus vraisemblable c’est qu’elle avait du être ancrée pour défendre l’accès d’une rade ou d’un port en méditerranée.                              Par suite de gros temps, la chaine d’encrage s’était rompue,iI en restait néanmoins une longueur de quelques mètres pendue sous la partie immergée. Au gré des courants et du vent elle a donc dérivé. A l'approche de la côte, la partie de la chaîne qui pendait s’accrochait sur le fond et ralentissait sa progression ce qui lui permit de stationner quelque temps devant le rivage.   Les autorités allemandes en raison du danger qu’elle représentait pour leur propre sécurité (puisqu’elles occupaient toutes les villas pieds dans l’eau), réquisitionnèrent le pêcheur local René pour prendre en remorque l’engin afin de l’amener sur la plage de sable la plus proche.

 

Avec son pointu La Mathilde et accompagné par 2 soldats, il s’approcha de la mine mais vu l’état de la mer la manœuvre s’avérait délicate et très dangereuse. La corde destinée au remorquage, qui n 'était pas encore amarrée à la mine, s’empêtra dans l’hélice et bloqua le moteur. Et par mer agitée, René dut s’échapper à la rame pour se mettre à l’abri et c’est certainement ce qui lui sauva la vie. Cette péripétie s’était déroulée bien avant mon arrivée.              Les conséquences matérielles pour les habitants du quartier furent nombreuses et les dégâts importants eurent lieu sur les villas les plus proches de l’explosion. Il y eut des bris de vitres, des plafonds écroulés ou déformés et de gros dégâts sur les toitures.Pour l’anecdote je vais rapporter la grosse frayeur d’une maman qui promenait son bébé dans les parages et dont le landau fut copieusement arrosé. Entre le moment où j’arrivais sur le banc et l’explosion il ne s’est écoulé que quelques minutes. J’étais toujours assis à mon poste d’observation lorsque je vis arriver par la rue de la Batterie une femme parmi d’autres personnes affolées. C’était ma mère qui, pensant que j’étais encore dans le quartier, venait à ma recherche.                                                            Le lendemain de l’événement nous apprîmes que les 2 disparus étaient vraisemblablement des enrôlés dans les jeunesses hitlériennes. Je vis également arriver un soldat allemand avec une valise pour faire le tour du quartier à la recherche macabre de restes humains.

Je lui indiquais que j’en avais vu accrochés aux branches des palmiers de la villa Fri-palace dont nous étions les gardiens. J’appris par la suite qu’il avait retrouvé un pied dans une botte dans une propriété voisine.                 Aujourd’hui après 64 années, à chacun de mes passages à Camp Long je me remémore cette scène tragique. Je vécus aussi hélas au cours des mois suivants beaucoup d’autres tristes événements.                                                Je ne citerai que le bombardement nocturne d’Agay le 11 novembre 1943 qui fit des victimes et détruisit une grande partie du village.  

                                                                                                                        Agay le 31 mars 2007Louis POLVERINI 17 ans en 1943© Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.                          RemerciementsA mes vieux amis du Dramont : Maurice PLANTO et Robert GIANSOLDATI Anciens pêcheurs professionnels pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans la relation de l’épisode du remorquage manqué de la mine.